Dans un article publié dans le Journal des Libertés, printemps 2025, Henri Lepage, économiste et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, critique l’évolution du droit avec l’introduction du principe de précaution, en insistant sur la notion traditionnelle de responsabilité. Selon l’auteur, ce principe repose sur l’idée floue d’une responsabilité collective envers les générations futures — un concept qu’il juge sémantiquement contradictoire et juridiquement infondé, car la responsabilité, pour être opérante, doit impliquer faute, conscience et sens moral, ce qui ne peut être attribué à une collectivité.
Lepage souligne que le passage à une conception « objective » de la responsabilité, fondée non plus sur la faute, mais sur le risque, vise à transformer le droit en un instrument de contrôle social. L’individu est incité à adopter des « bons réflexes », au service d’un plan législatif prédéfini. Ce processus entretient la discorde entre citoyens, alors que le but premier du droit devrait être la cohésion sociale. Il s’ensuit une instabilité juridique : la répartition des responsabilités pouvant être modifiée par chaque législature, toute norme devient potentiellement arbitraire, ce qui nuit à l’attraction d’investisseurs et fragilise les rapports sociaux.
L’article retrace cette dérive depuis les années 1980, notamment avec l’action des gouvernements socialistes et la loi Quillot. La judiciarisation du principe de précaution représenterait l’acmé de cette mutation : un passage de la responsabilité individuelle à une responsabilité collective, marquée par un rejet de la faute comme critère déclencheur d’une sanction.
Ce glissement vers une responsabilité collective produit un ensemble de dérives : disparition de l’aspect moral dans la chaîne causale des accidents (comment déterminer où s’arrêter ?), politisation extrême des décisions judiciaires (le politique devient juge suprême) et désignation arbitraire de « coupables » au nom des générations futures. Sans faute morale, toute logique juridique s’effondre, remplacée par des jeux d’influences et de rapports de force politiques.
L’auteur critique également la prétendue objectivité scientifique du principe de précaution : l’usage des « risques objectifs » et des agences d’expertise transforme les scientifiques en oracles, et confère à un concept incertain une aura trompeuse de rigueur. Or, il n’existe pas de risque objectif : le risque ne se mesure que a posteriori, via les probabilités statistiques, et non de façon anticipée.
Pour Lepage, le principe de précaution conduit à rejeter les erreurs comme un mal à éradiquer, alors que toute innovation — depuis le feu jusqu’à l’avion — implique une part d’expérimentation. Au lieu de guider l’action, il impose un immobilisme fondé sur l’interdiction dès le moindre doute, étouffant ainsi le progrès.
L’article n’exclut toutefois pas le risque : il préfère une responsabilité individuelle et un marché où acteurs économiques, politiques et citoyens demeurent responsables de leurs actes, permettant l’erreur mais aussi la sanction juste. Ce cadre, fondé sur la « faute », garantirait clarté, sécurité juridique et cohésion sociale, tout en favorisant le progrès raisonnable.
L’auteur évoque l’inconséquence de consacrer une nouvelle norme — le principe de responsabilité collective — sans même préciser son champ dans la Constitution ou la Charte de l’environnement ; ce qui crée un vide juridique exploitable, où le juge constitutionnel pourrait arbitrer au coup par coup des droits issus de traditions différentes, détériorant encore la sécurité juridique. Ce que d’ailleurs il fait déjà !
Lepage considère le principe de précaution comme la pierre angulaire d’un basculement du droit vers une mécanique collectiviste, arbitraire et instable, contraire aux valeurs libérales, à la responsabilité individuelle, à la sécurité juridique et au progrès raisonné.